Julie Dratwiak - Le Jardin des Oeuvriers

Bref, j’ai 40 ans.

Bref.
J’ai 40 ans.
Enfin presque… enfin si, quand même.
C’est l’âge où tu commences à dire “bref” à la fin de toutes tes phrases,
parce que dire “bref”,
c’est une manière douce de dire :
« J’ai compris, j’ai vécu, j’ai la flemme d’en rajouter. »
40 ans c’est aussi l’âge où tu tends ton téléphone à bout de bras pour réussir à lire,
Où ton chargeur est devenu ton cordon ombilical,
Où tu dis : “J’arrête les écrans le soir”,
pour finalement t’endormir avec ton téléphone à dix centimètres de ton visage et « Docteur House » qui tourne toute la nuit.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai arrêté d’essayer de comprendre les gens.
Déjà, je ne me comprends pas toujours moi-même,
alors les autres, c’est devenu du bonus.
Avant, je voulais sauver le monde,
aujourd’hui j’essaie juste de pas m’énerver
quand quelqu’un met son clignotant après avoir tourné.
Je me contente d’aimer, maladroitement peut-être,
et de fermer ma bouche quand je sens que ça servira à rien.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai cru à plein de trucs.
À l’amour, à la fidélité, à la liberté,
à la communication non violente, à la respiration consciente,
au marketing éthique, au karma,
et même, un jour, au mariage…
J’ai cru que le monde allait changer,
que les gens allaient s’écouter,
et que la bienveillance finirait par devenir virale.
Mais non.
C’est le stress qui a gagné la course.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai mal au dos.
Pas à la vie, au dos.
Mais parfois, les deux sont liés.
J’ai mal parce que j’ai porté trop de choses.
Des sacs, des valises, des espoirs, des gens.
Je sais plus très bien lesquels étaient les plus lourds.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai pas réussi à devenir adulte.
Je fais semblant.
Je dis des choses sérieuses avec un ton qui fait croire que j’y crois.
Mais au fond, j’ai toujours le cœur en baskets.
Je parle toute seule quand je range,
je danse dans la cuisine quand personne ne regarde,
je ramasse encore des cailloux qui brillent,
et je me fais des promesses que j’oublie le lendemain.
Je boude toujours un peu quand on me dit « non »,
J’aime tremper mon doigt dans le pot de Nutella,
tracer des prénoms dans le sable,
et m’inventer des histoires avant de m’endormir.
Bref, j’ai grandi dehors, mais pas dedans.
Et franchement, je crois que c’est ce qui me sauve.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai aimé comme on saute sans parachute,
comme on boit au goulot de la vie,
sans se soucier du vertige ni des lendemains.
Et quand je me suis écrasée, j’ai cru que c’était de l’amour.

Bref, j’ai 40 ans et parfois je me regarde dans la glace et je me dis :
« Elle a tenu, cette carne. »
Pas intacte, mais debout.
Un peu comme ces murs de kasbahs :
fissurés, magnifiques, encore pleins de soleil.
Je vois mes cicatrices, mes cernes,
et cette douceur revenue dans mon regard.
J’ai survécu à moi-même.
C’est déjà un sacré exploit.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai compris que la sagesse,
ce n’est pas devenir zen.
C’est juste arrêter de répondre à tout.
Laisser les autres parler, avoir raison,
et aller au restau avec soi-même.
C’est le calme après la tempête,
mais sans promesse de beau temps.

Bref, j’ai 40 ans et je doute toujours,
mais j’ai appris à inviter mes doutes à dîner.
Ils s’assoient, ils râlent, ils critiquent,
et à la fin, ils repartent sans rien casser.
Enfin… pas trop.
Je leur laisse un peu de place,
comme à des vieux potes qu’on ne supporte plus
mais qu’on n’a pas le cœur de virer.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai compris que la vie,
c’est pas une ligne droite.
C’est un labyrinthe, avec des monstres, des mirages,
et parfois des gens merveilleux qui t’aident à retrouver la sortie.
Y’a pas de plan. Pas de GPS.
Juste ton instinct, ton rire, et la foi que, quelque part,
tout ça a un sens.

Bref, j’ai 40 ans et j’ai lâché l’idée d’être parfaite.
Je préfère être vivante.
Parfois brillante, souvent bancale,
toujours en mouvement.
Je suis faite d’essais, de ratés, de recommencements,
et d’un peu de tendresse pour mes propres failles.
Je veux pas qu’on m’admire,
je veux qu’on m’aime comme une chanson un peu fausse
mais qu’on n’arrive pas à oublier.

Bref, j’ai 40 ans et je parle à Dieu.
Pas au Dieu des dogmes ni des sermons,
mais à celui qui se cache dans un sourire,
un silence, un ciel rose au-dessus du désert.
Je lui dis :
« Je ne sais pas où je vais, mais j’avance. »
Et j’entends, quelque part, un rire doux.
Peut-être le sien. Peut-être le mien.
Peut-être que c’est pareil.

Bref, j’ai 40 ans.
Et je crois enfin que le miracle,
c’est juste ça :
être encore là,
debout,
le cœur cabossé mais battant,
et dire merci,
sans raison.

1 week ago | [YT] | 494