Julie Dratwiak - Le Jardin des Oeuvriers

Enfant, je m’approchais timidement d’un cierge déjà consumé par sa ferveur et, de son feu, j’allumais le mien. J’étais émerveillée de voir qu’une flamme ne perd rien à se donner : elle transmet, elle multiplie sa clarté sans jamais s’appauvrir. Ma petite lumière venait de naître, mais elle était déjà l’héritière d’une longue lignée. Avant moi, un autre avait tendu son cierge vers une flamme, et avant lui encore, d’autres mains, d’autres visages s’étaient approchés. J’entrais dans une chaîne invisible, une fraternité ardente qui traversait le temps…

Ce geste, pourtant si humble, me donnait l’impression de rejoindre une histoire plus vaste que la mienne. Je comprenais sans le savoir qu’il y a dans toute existence une dette et une transmission. Mon feu ne venait pas de moi seul : il était né de la générosité d’un autre, et il appelait déjà le geste de celui qui viendrait après moi. Ainsi se tisse l’éternité : dans l’offrande d’une étincelle que l’on reçoit et que l’on transmet.

Un lumignon isolé est émouvant par sa fragilité. Mais lorsque des dizaines, des centaines de flammes s’élèvent côte à côte, elles composent un chant de lumière qui déborde les murs, qui caresse le visage des vivants, qui console même les morts. C’est dans ce rassemblement des petites flammes que réside la beauté suprême : chacune garde sa singularité, et pourtant toutes s’accordent dans une même clarté.

Je me dis que la condition humaine n’est pas différente. Nous avançons dans l’obscurité du monde avec nos pauvres lumignons : une tendresse offerte, une parole juste, un acte de bonté, un poème... Rien qui prétende renverser les ténèbres à lui seul. Mais lorsque ces flammes s’ajoutent, lorsqu’elles se rejoignent, alors quelque chose comme une aurore surgit.

C’est cela qu’il faut inspirer : que chacun ose approcher son lumignon tremblant du feu des autres, que nul n’ait honte de sa lumière trop petite, car elle devient immense dès qu’elle consent à se joindre aux autres. Nous ne sommes pas appelés à briller seuls dans l’univers : nous sommes appelés à communier.

Et si l’humanité a un avenir, il est peut-être là : dans la modestie de ces flammes qui, de proche en proche, allument un ciel sur la nuit. Mon feu est né d’un autre feu, qui lui-même venait d’ailleurs. Et déjà, dans l’obscurité, quelqu’un attend ma flamme pour allumer la sienne.

3 weeks ago | [YT] | 149