Julie Dratwiak - Le Jardin des Oeuvriers

Le chien du Drâa

Il y a, au bout de la rue qui descend vers le Drâa, un chien errant.
Quand la nuit a avalé les contours du paysage, il vient se coucher là, discrètement, dans la poussière.

Hier soir, j’avais besoin d’un peu de solitude.
Je suis allée m’asseoir au bord du Drâa.
Le chien était là.
Il s’est approché doucement, mais toujours à bonne distance, avec cette prudence des êtres qui ont trop souffert pour croire encore à la bonté du monde.
Je l’ai éclairé de ma lampe : il s’est aussitôt aplati au sol et s’est mis à gémir, comme si le simple fait d’être vu lui faisait honte.
Alors j’ai éteint la lumière.
Je lui ai parlé dans l’obscurité.
À chaque mot, il répondait d’un gémissement, et j’entendais sa queue battre sur le sable, comme un petit cœur obstiné qui voudrait encore aimer.

Il y avait dans cette rencontre quelque chose d’étrangement familier.
Je me suis reconnue en lui : dans sa peur, dans son désir d’approcher sans oser, dans ce mélange d’élan et de retrait qui ressemble à la vie tout entière.
J’ai murmuré : « Je suis là, mon frère. Je te vois, je t’entends. »
Et j’ai pleuré, sans savoir vraiment pourquoi.

Quand je me suis levée pour regagner la maison, je me suis retournée avant de franchir la porte.
Le chien m’avait suivie.
En le remarquant, il s’est encore aplati sur le sol, comme s’il s’excusait d’exister.
Je me suis agenouillée.
Je lui ai dit : « Viens. Je ne te veux aucun mal. »
Il a rampé vers moi en gémissant, lentement, humblement, jusqu’à s’arrêter à un mètre.
J’ai alors pu voir ses yeux, cette infinie douceur mêlée à la peur, cette soif de tendresse que rien ne peut désaltérer.
Puis, brusquement, il a reculé, a tourné la tête et s’est fondu dans la nuit.

Il m’a laissée là, le cœur serré, et j’ai compris que Dieu se cache parfois dans la fragilité d’un chien errant et tremblant, pour éprouver la part d’amour encore vivante en nous.

6 days ago (edited) | [YT] | 192